mardi 24 juin 2014

Critique : Une journée d'Ivan Denissovitch, Alexandre Soljenitsyne


Prisonnier depuis presque dix ans dans un camp de travaux forcés sous l'URSS stalinienne, Ivan Denissovitch Choukhov survit tant bien que mal au froid, à la faim, à la fatigue et à ses bourreaux. Découverte de la journée d'un zek bien sympathique !




Fiche Technique :

Titre : Une journée d'Ivan Denissovitch
Auteur Alexandre Soljenitsyne
Traducteurs : Lucia et Jean Cathala
Genre : Roman, Témoignage
Public : Tout Public

Éditeur Robert Laffont
Collection : Pavillon Poche
Date de Parution : Mars 2010
Nombre de pages : 238
Format : 122 x 182 mm
Prix : 7,00 €
ISBN : 978-2-221-11561-9



Mon Analyse :

L'importance du témoignage
Joseph Staline
(1878 - 1953)
Dans Une journée d'Ivan Denissovitch, nous découvrons la première tentative d'Alexandre Soljenitsyne de nous décrire et nous faire vivre le quotidien qu'il a pu enduré dans les camps de travaux forcés soviétiques. Son combat contre le totalitarisme stalinien commence enfin à être entendu lorsque Khrouchtchev entame la déstalinisation du pays vers la fin des années 1950. Mais très vite, son engagement dérange, si bien qu'il est déchu de sa nationalité pour son œuvre engagée contre le régime qui lui voudra en revanche la reconnaissance en Occident avec un prix Nobel de Littérature en 1970. Si ce roman s'avère être le premier, il n'en reste pas moins déjà très riche en éléments concrets et emprunts au réel. Lire Soljenitsyne, c'est déjà s'ouvrir à tout un témoignage sur le Goulag. On y découvre, en la compagnie d'Ivan Denissovitch Choukhov, une journée-type dans ces camps de Sibérie. On y apprend ce qu'un détenu, là-bas, ça s'appelle un zek par exemple et on y suit les travaux de maçonnerie du héros, ses petites astuces pour doubler sa ration, se préserver du froid, tous ces ruses quotidiennes qui pourront, peut-être, lui permettre de survivre avant qu'on prolonge à nouveau sa peine pour d'obscures raisons.


Une peinture humaine
Mais la vie au Goulag que nous présente l'écrivain russe n'est pas une peinture gratuite de l'horreur. L'enfer blanc aborde un visage terriblement humain, car c'est avant tout la condition des zeks et leurs relations qui sont exposées au grand jour dans ce récit. Choukhov est un homme bon et astucieux qui côtoie ses pairs comme ses maîtres. On retrouve ainsi un large éventail de personnages ayant véritablement existé selon l'auteur et aux origines différentes. Le bandit côtoie le baptiste. L'acteur cultivé moscovite débat avec un ancien commandant. Les points-de-vue se mélangent, s'entre-choquent. Mais tous doivent faire front face à leurs geôliers. De fait, ce qui ressort le plus de son histoire, c'est assurément cette franche camaraderie qui peut exister entre les détenus de la brigade 104. Soljenitsyne nous montre à quel point le camarade est nécessaire pour survivre sans omettre non plus que le système des camps cherche justement à générer des disparités entre les individus. Tantôt ami, tantôt rival, les zeks n'en restent pas moins tous compagnons d'infortune qui s'opposent, ensembles, naturellement, contre les délateurs et les petits capots.


Une langue sèche et poétique
Enfin, on retiendra surtout la prose particulière qui nourrit ce texte. Sans aucun chapitre, le récit progresse comme défilerait une journée au côté d'Ivan Denissovitch, personnage parfois naïf sur le monde qui l'entoure. Et l'ignorance devient poétique. Le héros s'émerveille ainsi devant une lune qui meurt progressivement chaque nuit avant de renaître le mois suivant. Ses propos sont parfois malhabiles, plutôt familiers mais jamais inutiles. On parle peu au camp, si ce n'est pour organiser le travail, la distribution des repas et surtout pour s'entraider et rester humain. Le narrateur lui-même prend parfois forme et n'hésite pas à gueuler sur les surveillants, encourages les camarades détenus. Et si, ce parler rugueux, si sincère était la voix de Soljenitsyne prisonnier ? L'écrivain russe, plus qu'effleurer les fantômes de son passé parle à son lecteur d'aujourd'hui pour que la mémoire ne s'éteigne pas avec lui. Pari réussi. Parti en 2008, le dissident fait encore parler de lui et de ses compagnons d'infortunes. Et quoi de plus actuel qu'un auteur méfiant de l'expansionnisme soviétique avec ce qui vient de se passer en Crimée...



Mon Avis :

Ce roman traite d'un sujet aussi difficile que le Goulag avec pourtant une certaine légèreté emprunte à son personnage principale qui relativise ses journées avec de petits détails qui lui permettront pourtant de survivre jusqu'au jour suivant. C'est un témoignage qui m'a beaucoup touché, je dirai plutôt ému. Il ne s'agit pas ici de faire pleurer dans les chaumières mais plutôt d'apporter un récit de vie d'une manière présupposée légère alors qu'on sent poindre déjà toute l'ironie incisive de Soljenitsyne. Une journée d'Ivan Denissovitch est à mon humble avis un pire chef d'œuvre pour sa simplicité – son authenticité – et, de fait, pour son accessibilité. Je le recommande chaudement.



Ma citation favorite :

Alexandre Soljenitsyne
(1918 - 2008)
« Il se sentait si content, Choukhov, que tout ait bien marché, qu'il bourra les côtés au commandant :
Écoute voir, commandant, dans vos idées de science, où elles vont les vieilles lunes ?
Où vont-elles ? Tu ne sais donc pas qu'il y a une période où la lune n'est pas visible ?
Choukhov secoue la tête en rigolant :
Du moment qu'on ne la voit pas, comment tu sais, toi, qu'elle existe ?
Il en a un coin bouché, le commandant :
T'imaginerais-tu que, chaque mois, c'est une autre lune qui naît ?
Pourquoi pas ? Les gens, il en naît bien tous les jours. Pourquoi, alors, il naîtrait pas une lune toutes les quatre semaines ?
Il l'a sec, le commandant :
Je n'ai jamais encore rencontré de matelot aussi cancre ! qu'il fait. Où iraient-elles alors, tes vieilles lunes ?
C'est tout juste ce que je te demandais.
Où vont-elles, à ton avis ?
Choukhov soupire et, tout bas, à cause que c'est un secret :
Chez nous, on dit que le bon Dieu les casse pour en fabriquer des étoiles. »

~ Quelques ouvrages disponibles
Le Premier Cercle, Robert Laffont (Pavillon Poche), mars 2007
La Pavillon des cancéreux, Robert Laffont (Pavillon Poche), 2011

~ Voir aussi
La Roue rouge
L'Archipel du Goulag

Couverture © Robert Laffont / Logos & Critique © Adrien Pierrepont,

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