Un
vieil homme jusqu'ici impassible à son morne quotidien d'esclave
s'enfuit vers son destin lors d'une course-poursuite avec le terrible
molosse de son maître. Qu'adviendra-t-il aux participants de cette
course loin des sentiers battus de la vie humaine ?
Titre :
L'esclave vieil homme et le molosse
Auteur :
Patrick Chamoiseau
Genre :
Roman
Public :
Public aguerri
Éditeur :
Folio
Date
de Parution : Avril 1999
Nombre
de pages : 160
Format :
108 x 178 mm
Prix :
5,40 €
ISBN :
978-2-0704087-3-3
Mon
Analyse :
Un
homme en (re)devenir
« L'esclave
vieil homme », notre héros est initialement un être
passif, immobile. Il n'est qu'un esclave usé par le labeur qui se
refuse d'écouter les récits de ses congénères sur la terre
natale. Puis, le besoin irrésistible de la liberté, la soif des
origines, « la décharge » l'animent soudain. Il
s'enfuit à travers la forêt dense et se heurte à la nature
sauvage. La végétation lui lacère la peau et dans la nuit, après
une nouvelle jouissance, l'eau dans laquelle il manque de se noyer
lui offre une renaissance. D'esclave il devient « vieil
homme » jusqu'à pleinement épouser son identité en
prenant lui-même en charge la narration de SON histoire ! Il mange
alors la terre qu'il foule de ses pieds fatigués pour goûter
l'ancien parfum de ses origines. Il y rencontre alors
« L’Innommable » qui « n'a pas de
commencement » ni « de fin » et qui
« peut s'avaler et renaître en même temps » :
l’Ouroboros, symbole de l'éternel retour et du caractère cyclique
du temps ! L'homme retrouvera peut être son passé.
L'homme
et la bête
Mais
le fugitif est poursuivi par un monstre, « le molosse »
que le maître a fait importer comme ses esclaves d'un pays lointain
et qu'il a entraîné à devenir une véritable machin à tuer.
L'animal est de fait dénaturé pour n'être que l'objet d'un autre
homme. Si sur les papiers de vente il est qualifié de « blanc
avec une tache noire entre les deux yeux » puis pendant son
voyage en bateau on le décrit « comme noir avec une tache
blanche sur le museau » pour enfin être perçu par les
esclaves comme « noir » ou taché du sang des
fugitifs qu'il rattrape toujours. L'asservissement l'ayant ainsi
perverti, le monstre rattrape l'esclave mais chute à son tour dans
une eau boueuse. Les deux ennemis couverts de boue se font alors
face, et, mystérieusement se ressemble. Tous deux ne sont libres. De
l'homme à la bête, la frontière est malheureusement bien mince.
La
fin d'une course poétique
Cette
course poursuite adopte des allures de rêves. Enfui dans la nuit,
l'esclave sombre dans les délires d'un imaginaire nourri des
veillées au coin du feu et des menaces du maître. Le lecteur qui le
suit se retrouve lui aussi perdu dans cette immense forêt où les
ombres sont changeantes. Les mots de Patrick Chamoiseau le sont tout
autant. Ses phrases adoptes une étrange sonorité teintée de
couleurs créoles. On ne comprend que bien peu toute cette histoire.
Seules demeurent des images fortes qui viennent chatouiller nos
oreilles plus que nos yeux. Car le texte est fait pour être déclamé,
comme un poème. Tantôt haletant pour la fuite, tantôt pesant pour
la tristesse d'une vie de soumission, le rythme transporte assurément
le lecteur ailleurs, jusqu'à ce que le périple poétique du vieil
homme prenne fin alors qu'il expire couché sur une pierre gravée de
symboles anciens. L'oral laisse la place à l'écrit, pris en charge
par Chamoiseau guidé par les ossements blancs de ce « nègre
marron ».
Ce
roman est une véritable prouesse linguistique et poétique. Le
résultat est magnifique. Il faut cependant accepter que le texte
échappe à notre pleine compréhension ce qui peut en rebuter plus
d'un. J'ai eu du mal à me laisser pénétrer par une telle façon de
s'exprimer pour finalement me laisser bercer par cette étrange
fuite. Il y a-t-il seulement une véritable histoire ? J'en
doute. Le tout tiens plus au symbolique, au poétique et à la
musicalité des phrases. Mais je tiens à saluer cette façon de
créer, façon de penser et façon de rêver. Parlons même de conte.
Un conte pour méditer sur l'esclavage et surtout sur l'Homme en
général !
Ma
citation favorite :
Ouroboros |
« L'Innommable
me pétrifiait et je le pétrifiais. J'avais atteint un arrière-fond
du désespoir. Mourir là comme-ça sous une frappe impure !
L'ombre que j'avais refoulée se dresser devant moi. L'Innommable
n'est ni mal ni femelle. L'Innommable n'a pas de commencement et
l'Innommable n'a pas de fin. L'Innommable semble porter reflété
dans du ciel et des miroirs de terre, et il peut s'avaler et
renaître en même temps. Elle a vu naître les dieux les plus
anciens, et il les habite tous. Le soleil suit la courbe de ses
flancs et la nuit niche dans sa reptation même. Elle est d'eau, il
est de glaise, elle est d'arc-en-ciel buveur. Médecine de vie,
médecine de mort, l'Innommable est totale de toutes fécondations et
de toutes stérilités. »
Patrick Chamoiseau |
Texaco,
Gallimard, 1992 (prix Goncourt)
Une
enfance créole, 1993,1994 et 2005
Un
dimanche au cachot, 2007
L'empreinte
à Crusoé, 2012
Hypérion
victimaire. Martiniquais épouvantable, 2013
Photographies © Gallimard /
Logos & Critique ©
Adrien Pierrepont
J'ai bien envie de le lire =)
RépondreSupprimerSi tu n'as pas peur d'un texte poétique, il est fait pour toi. ;)
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