vendredi 13 septembre 2013

Critique : L'esclave vieil homme et le molosse ~ Patrick Chamoiseau

Un vieil homme jusqu'ici impassible à son morne quotidien d'esclave s'enfuit vers son destin lors d'une course-poursuite avec le terrible molosse de son maître. Qu'adviendra-t-il aux participants de cette course loin des sentiers battus de la vie humaine ?



Fiche Technique :

Titre : L'esclave vieil homme et le molosse
Auteur : Patrick Chamoiseau
Genre : Roman
Public : Public aguerri

Éditeur : Folio
Date de Parution : Avril 1999
Nombre de pages : 160
Format : 108 x 178 mm
Prix : 5,40 €
ISBN : 978-2-0704087-3-3



Mon Analyse :

Un homme en (re)devenir
« L'esclave vieil homme », notre héros est initialement un être passif, immobile. Il n'est qu'un esclave usé par le labeur qui se refuse d'écouter les récits de ses congénères sur la terre natale. Puis, le besoin irrésistible de la liberté, la soif des origines, « la décharge » l'animent soudain. Il s'enfuit à travers la forêt dense et se heurte à la nature sauvage. La végétation lui lacère la peau et dans la nuit, après une nouvelle jouissance, l'eau dans laquelle il manque de se noyer lui offre une renaissance. D'esclave il devient « vieil homme » jusqu'à pleinement épouser son identité en prenant lui-même en charge la narration de SON histoire ! Il mange alors la terre qu'il foule de ses pieds fatigués pour goûter l'ancien parfum de ses origines. Il y rencontre alors « L’Innommable » qui « n'a pas de commencement » ni « de fin » et qui « peut s'avaler et renaître en même temps » : l’Ouroboros, symbole de l'éternel retour et du caractère cyclique du temps ! L'homme retrouvera peut être son passé.


L'homme et la bête
Mais le fugitif est poursuivi par un monstre, « le molosse » que le maître a fait importer comme ses esclaves d'un pays lointain et qu'il a entraîné à devenir une véritable machin à tuer. L'animal est de fait dénaturé pour n'être que l'objet d'un autre homme. Si sur les papiers de vente il est qualifié de « blanc avec une tache noire entre les deux yeux » puis pendant son voyage en bateau on le décrit « comme noir avec une tache blanche sur le museau » pour enfin être perçu par les esclaves comme « noir » ou taché du sang des fugitifs qu'il rattrape toujours. L'asservissement l'ayant ainsi perverti, le monstre rattrape l'esclave mais chute à son tour dans une eau boueuse. Les deux ennemis couverts de boue se font alors face, et, mystérieusement se ressemble. Tous deux ne sont libres. De l'homme à la bête, la frontière est malheureusement bien mince.

La fin d'une course poétique
Cette course poursuite adopte des allures de rêves. Enfui dans la nuit, l'esclave sombre dans les délires d'un imaginaire nourri des veillées au coin du feu et des menaces du maître. Le lecteur qui le suit se retrouve lui aussi perdu dans cette immense forêt où les ombres sont changeantes. Les mots de Patrick Chamoiseau le sont tout autant. Ses phrases adoptes une étrange sonorité teintée de couleurs créoles. On ne comprend que bien peu toute cette histoire. Seules demeurent des images fortes qui viennent chatouiller nos oreilles plus que nos yeux. Car le texte est fait pour être déclamé, comme un poème. Tantôt haletant pour la fuite, tantôt pesant pour la tristesse d'une vie de soumission, le rythme transporte assurément le lecteur ailleurs, jusqu'à ce que le périple poétique du vieil homme prenne fin alors qu'il expire couché sur une pierre gravée de symboles anciens. L'oral laisse la place à l'écrit, pris en charge par Chamoiseau guidé par les ossements blancs de ce « nègre marron ».



Mon Avis :

Ce roman est une véritable prouesse linguistique et poétique. Le résultat est magnifique. Il faut cependant accepter que le texte échappe à notre pleine compréhension ce qui peut en rebuter plus d'un. J'ai eu du mal à me laisser pénétrer par une telle façon de s'exprimer pour finalement me laisser bercer par cette étrange fuite. Il y a-t-il seulement une véritable histoire ? J'en doute. Le tout tiens plus au symbolique, au poétique et à la musicalité des phrases. Mais je tiens à saluer cette façon de créer, façon de penser et façon de rêver. Parlons même de conte. Un conte pour méditer sur l'esclavage et surtout sur l'Homme en général !



Ma citation favorite :

Ouroboros
« L'Innommable me pétrifiait et je le pétrifiais. J'avais atteint un arrière-fond du désespoir. Mourir là comme-ça sous une frappe impure ! L'ombre que j'avais refoulée se dresser devant moi. L'Innommable n'est ni mal ni femelle. L'Innommable n'a pas de commencement et l'Innommable n'a pas de fin. L'Innommable semble porter reflété dans du ciel et des miroirs de terre, et il peut s'avaler et renaître en même temps. Elle a vu naître les dieux les plus anciens, et il les habite tous. Le soleil suit la courbe de ses flancs et la nuit niche dans sa reptation même. Elle est d'eau, il est de glaise, elle est d'arc-en-ciel buveur. Médecine de vie, médecine de mort, l'Innommable est totale de toutes fécondations et de toutes stérilités. »


Patrick Chamoiseau
~ Quelques ouvrages
Texaco, Gallimard, 1992 (prix Goncourt)
Une enfance créole, 1993,1994 et 2005
Un dimanche au cachot, 2007
L'empreinte à Crusoé, 2012
Hypérion victimaire. Martiniquais épouvantable, 2013



Photographies © Gallimard / Logos & Critique © Adrien Pierrepont

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